Cet article fait partie d'un ensemble de ressources élaborées par l'académie de Strasbourg sur la thématique de la pensée critique, proposant
Des pistes au quotidien , Des activités ciblées , Des parcours pour approfondir et une Boîte à outils
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Construire sa progression en cycle 4 sur le thème du système nerveux
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Cette ressource a pour objectif de proposer une démarche de construction par l’enseignant, avec un esprit critique, d’une progression en cycle 4 sur le thème du système nerveux.
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1. Introduction
La ressource a pour but d’expliquer les choix qui ont conduit à sélectionner les études présentées dans les documents élèves proposés. L’objectif est également de mettre en évidence que l’exploitation de certaines ressources peut amener à des constats erronés si les biais des études ne sont pas suffisamment pris en compte. Par ailleurs le choix des démarches dans les activités est également expliqué.
2. Construction des documents
- Suspicions et rapports anecdotiques d’effets du cannabis sur le comportement : formulation d’hypothèses par les élèves
Une association entre l’usage de cannabis et le développement de psychoses a été suspectée depuis longtemps.
En 1235, Ibn Beitar, un physicien arabe a proposé un lien entre la folie et la consommation de ”hashish” (Cannabis indica). Au XIXe s., le psychiatre Jacques-Jospeh Moreau a décrit les effets psychomimétiques du hashish. De nombreux rapports anecdotiques depuis le XIXe s. (cf. figure 1) décrivent des symptômes psychotiques suite à une intoxication au cannabis. Les symptômes décrits sont la dépersonnalisation, la déréalisation, la paranoïa, les idées de référence, la fuite des idées, la pensée désorganisée, les délires de persécution et mégalomaniaques, les hallucinations visuelles et auditives, les problèmes d’attention et de mémoire. Des études statistiques permettent également de suspecter de tels effets du cannabis, comme un rapport indien de 1894 qui a révélé que 222 cas d’individus psychotiques parmi 2 344 dans les asiles en Inde seraient liés à un usage du cannabis. Une étude de 1998 a révélé qu’entre 20 % et 50 % des individus ayant déclaré des problèmes de paranoïa, des délires de persécution ou des hallucinations étaient sous l’influence du cannabis.
Des rapports anecdotiques (voir figure 1) permettent aussi d’envisager l’hypothèse d’un lien entre le cannabis et le développement de psychoses. Les rapports anecdotiques de cas d’altération du comportement suite à l’usage du cannabis sont intéressants pour permettre aux élèves de se faire une première idée des conséquences du cannabis sur le système nerveux et de formuler des hypothèses. Cependant, au lieu de présenter un rapport de ces cas, la projection de témoignages de personnes qui ont réussi à arrêter d’en prendre pourrait être plus éloquente, c’est pourquoi cette solution a été envisagée dans la première partie de la ressource. L’existence de nombreux rapports pourrait toutefois être mentionnée.
- Les études épidémiologiques : des arguments pour renforcer les hypothèses
Bien que ces études présentent de nombreux biais (du choix des sujets lors de l’échantillonnage, de la taille de l’échantillon, de paramètres associés comme le tabagisme, d’exposition à plusieurs drogues, d’effets de période ou de durée ou de cohorte et de direction du lien de causalité), elles permettront aux élèves de constater que d’autres personnes ont travaillé sur les mêmes hypothèses qu’eux ou d’enrichir le spectre de leurs hypothèses.
Quelques exemples d’études sont présentés dans la figure 2. Ils ont été choisis afin de présenter quelques biais possibles et d’indiquer leur prise en compte.
Les études sur les effets positifs de l’usage de cannabis sont plus solides. La dernière étude a été choisie pour construire un document car elle permet de mettre en évidence l’importance possible du risque de la période de l’adolescence et les biais sont assez réduits pour ce type d’étude. Un calcul de risque peut être réalisé par les élèves. En fonction de la progression en mathématiques, les résultats peuvent être proposés dans le document (voir figure 2).
L’étude d’Arseneault aurait était plus riche en enseignements pour nos élèves mais la taille de l’échantillon est trop petite pour engager une réflexion assez solide.
Dans la liste de documents, un document 1B comportant plusieurs études est proposé afin de permettre aux élèves d’acquérir des méthodes d’analyse de certains paramètres des études épidémiologiques qui pourraient constituer des biais.
Il en ressort que :
- l’étude d’Andreasson ne prend pas en compte assez de paramètres pouvant être associés au développement de psychoses,
- celle de Van Os ne peut pas être exploitée à cause de la méthode employée (interview au téléphone), du nombre de cas de psychose décelé et de la prise en compte d’apparition de symptômes avant la première interview dans l’analyse des cas contrôles,
- celle d’Arsenault comporte un échantillon trop petit avec un diagnostic de psychose antérieur à l’étude décelé par questionnaire et que trop peu de facteurs associés au développement de la schizophrénie sont pris en compte dans l’analyse des cas contrôles,
- celle de Manrique-Garcia est celle qui obtient le niveau de preuve le plus élevé.
- Les études expérimentales (ou semi-expérimentales) : des pistes solides pour établir un lien entre usage de cannabis et développement d’une schizophrénie mais des biais
> Mise en évidence de dysfonctionnements du cerveau analogues à ceux des individus schizophréniques : une comparaison abordable pour les élèves et une opportunité de mettre en évidence des différences de résultats entre plusieurs études
La figure 3 permet de constater que de nombreuses études permettent de mettre en évidence que le cannabis ou le Δ9-THC provoque le panel complet des symptômes positifs et négatifs et les déficits cognitifs décrits dans les cas de schizophrénie.
D’autres études (cf. figure 4), permettent de mettre en évidence des effets du cannabis sur le fonctionnement du cerveau.
Les études permettant de diagnostiquer par électroencéphalographie la schizophrénie sont nombreuses. Celles permettant d’établir un rapprochement des caractéristiques électroencéphalographiques des individus ayant consommé du cannabis le sont également.
Le choix d’un document élève peut se porter sur une étude où l’effet dose-réponse est bien établi.
Par ailleurs il peut être utile à l’élève de se représenter la topographie de l’activité électrique au niveau du crâne. De plus la comparaison de la topographie chez un individu schizophrénique et chez un individu consommant du cannabis permet de renforcer l’analyse.
Chez les individus schizophréniques, il y a une diminution d’amplitude et une modification de la latence de la réponse P300. La diminution d’amplitude a été constatée dans les expériences d’injection de THC. Il n’y a cependant pas de modification au niveau de la latence de la réponse P300.
Il faut aussi prendre en compte que des études sur des patients consommant du cannabis de façon chronique ont donné des résultats différents (certaines études montrent des diminutions ou une augmentation de l’amplitude et du délai, Solowij et al., 1991 et 1995 ; Kempel et al., 2003).
>Mise en évidence d’une modification de la structure du cerveau à l’origine des dysfonctionnements des individus schizophréniques ou consommant du cannabis : l’occasion d’expliquer le lien entre structure et fonctionnement du système nerveux
Dans la figure 5, quelques résultats d’études de l’effet de cannabinoïdes sur la structure du cerveau ont été présentés.
Chez l’humain, un lien direct entre usage de cannabis et modification de la structure du cerveau n’est pas encore établi de façon claire puisque les résultats obtenus dans les différentes études sont contradictoires du fait notamment des différences de populations suivies, des différences de quantité de cannabis consommées au cours de la vie, des effets de l’usage concomitant d’autres drogues, le temps passé depuis le développement de la maladie et les effets des médicaments antipsychotiques.
Cependant, des études chez la souris et la lamproie permettent d’envisager des mécanismes biologiques qui pourraient servir à expliquer les effets du cannabis sur le cerveau (voir les activités présentées dans la première partie de la ressource).
>La mise en évidence d’une possibilité biologique de lien entre cannabis et schizophrénie : le système endocannabinoïde et la neurogenèse
Il a été mis en évidence que la schizophrénie est un trouble du neurodéveloppement (Rapoport et al., 2005 ; Weinberger, 1996).
Le système endocannabinoïde peut avoir un rôle sur le neurodéveloppement car il est présent avant la neurogenèse (Psychoyos et al., 2012). De plus, l’exposition à des analogues du THC empêchent les processus de différenciation dans le cerveau primordial (Psychoyos et al., 2008). Le système endocannabinoïde régule des processus du neurodéveloppement comme la neurogenèse, la spécification et la maturation neurale, la migration des neurones, l’élongation des axones et la formation de la glie (Berghuis et al., 2005 ; Berghuis et al., 2007 ; Galve-Roperh et al., 2009 ; Watson et al., 2008).
La présence des récepteurs CB-1R est détectée dans des stades très précoces du développement neural et leur distribution change au cours du temps (Berghuis et al., 2005 ; Oudin et al., 2011). La DAG lipase qui intervient dans la synthèse d’un endocannabinoïde est présente dans les réseaux axonaux de l’embryon puis apparaît au niveau des dendrites chez l’adulte (Harkany et al., 2007), ceci étant accompagné d’un changement des concentrations d’endocannabinoïdes (Galve-Roperh et al., 2009).
Les multiples données provenant d’expériences avec des souris KO renforcent les hypothèses (Jiang et al., 2005 ; Gobbi et al., 2005 ; Mulder et al., 2008 ; Berghuis et al., 2005).
Des expériences sur les animaux d’expositions au THC à des stades précoces du neurodéveloppement et chez les adultes ont révélé des altérations du système endocannabinoïde (Berghuis et al., 2005 ; Butovsky et al., 2005 ; Derkinderen et al., 2003 ; Maj et al., 2007; Rubino et al., 2006 ; Valjent et al., 2001 ; Derkinderen et al., 2003; Rubino et al., 2006 ; Valjent et al., 2001).
Chez l’humain, des études ont révélé des effets possibles du cannabis sur ce système (D’Souza et al., 2008a). Des études sur les effets de l’exposition in utero aux cannibinoïdes sur ce système ont révélé des résultats mais qui sont mitigés (Jutras-Aswad et al., 2009 ; Molina-Holgado et al., 1997 ; Garcia-Gil et al., 1999 ; Wang et al., 2004). Des études épidémiologiques permettent d’envisager un un lien entre l’usage de cannabis et des symptômes pouvant être en rapport avec les circuits inhibiteurs du contrôle du comportement (Goldschmidt et al., 2000 ; Frank et al., 2007).
Les études sur des rats ont permis d’établir des effets sur le comportement et la structure du cerveau liés à l’administration de THC ou d’agonistes de cannabinoïdes lors de l’adolescence (Schneider et al., 2008 ; Rubino et al., 2009). Des études chez l’humain permettent également d’envisager un lien entre diminution de la substance grise, schizophrénie et usage chronique de cannabis (Cahn et al., 2004 ; Szesko et al.2007 ; Bangalore et al., 2008 ; Rais et al. 2008 ; Peters et al. 2009 ; Wobrock et al. 2009 ; Dekker et al. 2010 ; Rais et al., 2008 ; Cohen et al., 2011 ; James et al. 2011 ; Kumra et al., 2012).
Des documents permettant de suggérer un lien entre substance grise, usage de cannabis et schizophrénie ont été proposés puisque les élèves auront pu déjà travailler sur des observations microscopiques de substance grise. Cependant ces résultats sont issus d’analyses sur un nombre très faible d’individus. Par ailleurs une comparaison des différentes études (Malchow et al., 2012) révèle une grande hétérogénéité des résultats.
Le sujet des CB-1R peut également être intéressant puisqu’il permettrait d’aborder la notion de communication nerveuse et de renforcer expérimentalement les hypothèses au sujet de l’effet des cannabinoïdes sur la structure du cerveau. Il faudra bien sûr garder à l’esprit que les résultats proposés concernent des animaux.
- Conclusions pouvant être tirées des études actuelles
La direction du lien de causalité est importante dans l’ensemble de notre démarche. La question est de savoir si les cannabinoïdes causent des psychoses ou si elles étaient déjà existantes et que l’usage de cannabis serait une caractéristique de ces populations (par exemple un choix d’auto-médication) ou qu’il aurait fait apparaître les symptômes plus tôt.
Les critères établis pour déterminer le lien de causalité sont : la temporalité, la force et la direction de l’association, l’effet dose-réponse, la spécificité, la cohérence entre études, l’existence de preuves expérimentales et l’existence de mécanismes biologiques pouvant expliquer les effets.
Nous avons vu que la plupart des critères énumérés sont bien remplis. La cohérence entre études n’est toutefois pas toujours de mise pour certains aspects. Concernant la temporalité, le lien est assez bien établi pour les symptômes positifs de la schizophrénie mais il n’a pas encore été établi pour les autres.
Concernant l’existence de mécanismes biologiques, le système endocannabinoïde semble influencer le neurodéveloppement. Des perturbations de ce système dans un cerveau qui évolue rapidement comme c’est le cas à l’adolescence, par des stimulations excessives ou non physiologiques (par exemple en s’exposant à des cannabinoïdes exogènes) pourrait avoir des conséquences.
Le risque plus élevé de perturbation du cerveau et de développement d’une schizophrénie pourrait s’expliquer par une altération du développement du cerveau à l’adolescence.
Le système nerveux comporte des réseaux de cellule qui communiquent pour coordonner des fonctions dans le corps. Des altérations de la structure très organisée du cerveau permettraient d’expliquer les symptômes manifestés par ceux qui consomment du cannabis ainsi que les modifications électroencéphalographiques. C’est ce point qu’il semble judicieux de développer avec les élèves puisqu’il constitue les objectifs du programmes.
Cependant des études complémentaires sont encore nécessaires afin de déterminer les effets du cannabis sur le système endocannabinoïde et d’établir un véritable lien entre usage de cannabis et développement d’une schizophrénie.
Il peut être intéressant à ce moment de discuter avec les élèves de certains exemples déjà vu plus tôt dans le cycle, comme l’effet du tabagisme sur le développement d’un cancer du poumon. En effet, de façon similaire à ce que nous venons de voir, le tabagisme n’est ni une cause nécessaire ni suffisante pour expliquer cette maladie. La schizophrénie trouverait donc sa cause dans une interaction pluricausale (aspects génétiques et environnementaux). Les études à propos des souris KO permettraient ainsi de l’envisager.
3. Documents élèves et progression pédagogique
Les documents et activités présentés ici ont pour but d’atteindre les objectifs suivants du programme :
- Le cerveau est un centre nerveux qui analyse des messages nerveux sensitifs et élabore des réponses.
- La perception et l’élaboration d’une réponse supposent des communications au sein d’un réseau de cellules nerveuses.
- La consommation de certaines substances peut provoquer des modifications du système nerveux et perturber son bon fonctionnement.
Pour chaque activité, différents niveaux de maîtrise par les élèves sont proposés afin d’envisager une pédagogie différenciée.
- Point de départ
Une association entre l’usage de cannabis et le développement de psychoses a été suspectée depuis longtemps. Les rapports anecdotiques de cas d’altération du comportement suite à l’usage du cannabis sont nombreux et intéressants pour permettre aux élèves de se faire une première idée des conséquences du cannabis sur le système nerveux, d’arriver à des questionnements et de formuler des hypothèses. Cependant, au lieu de présenter un rapport de ces cas, la projection de témoignages de personnes qui ont réussi à arrêter d’en prendre pourrait être plus éloquente. L’existence de ces nombreux rapports pourrait toutefois être mentionnée.
- Imaginer des corrélations grâce aux données épidémiologiques (doc.1)
Il est possible de conclure de témoignages de personnes qui ont fait usage de cannabis que les substances qui le composent ont un effet sur la perception et la coordination des tâches motrices ainsi qu’une perte progressive de contact avec la réalité.
Les élèves seront donc amenés à s’interroger sur l’existence d’un lien entre l’usage de cette drogue et le développement d’une maladie affectant le système nerveux. Il serait judicieux à ce moment de la réflexion de bien indiquer qu’un seul témoignage ne peut pas permettre d’établir un fait scientifique. Des données épidémiologiques pourront ensuite être exploitées (doc.1).
Procédures à mettre en oeuvre pour parvenir à des conclusions :
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Le document complet téléchargeable comporte 10 documents élèves pour alimenter le débat.