Traam 2019 : Modéliser les réserves de pétrole au lycée
Auteure : Lorely Decina
NB : cet article fait partie d'un ensemble d'articles synthétisant les travaux de l'académie de Strasbourg, dans le cadre des Travaux Académiques Mutualisés sur la thématique des algorithmes et du codage dans l'enseignement des SVT. Vous pouvez retrouver l'article principal faisant la synthèse de nos travaux en cliquant ici.
Cet article relate une activité avec les lycéens. Un autre article a été écrit sur une activité de même type avec des collégiens.
1. Les motivations pour tester cette approche.
Lors des premiers travaux réalisés avec les élèves de seconde incluant de la programmation en SVT, j’ai constaté une très grande hétérogénéité dans l’usage de ces outils, certains élèves étant très familiers de l’utilisation de Scratch par exemple, tandis que d’autres n’avaient jamais fait ce genre de travail. Bien entendu mon souci premier a été de guider les élèves peu habitués à cette approche. Mais en regardant les élèves plus à l’aise travailler, je me suis rendue compte que cette aisance se manifestait surtout dans la manipulation des éléments du logiciel, mais qu’en réalité les concepts de programmation de base n’étaient souvent pas assimilés : les élèves assemblent très rapidement des blocs, mais ne sont pas guidés par un raisonnement logique adapté à la situation qu’ils doivent traiter.
J’ai donc souhaité concevoir avant tout un travail permettant de remettre à plat les bases indispensables pour que chaque élève puisse tirer le bénéfice attendu de ce travail, à savoir adopter un raisonnement méthodique permettant de traiter un problème posé.
2. Réflexions menées lors de la préparation.
J’ai voulu que ce travail ne se résume pas à une activité isolée afin qu’il ne soit pas considéré comme anecdotique par les élèves ni par un professeur qui souhaiterait utiliser ce type d’approche.
En effet, pour que le travail soit complet, il ne fallait pas qu’il se limite à un tutoriel de l’utilisation de Scratch : j’ai donc voulu mettre l’accent sur la notion de modélisation et donc faire en sorte que ce travail apporte une réelle plus-value pour traiter ce point.
Ma réflexion s’est aussi portée sur la manière d’évaluer les effets de cette approche. Il est très difficile d’évaluer les compétences individuelles de programmation des élèves. Ils sont en binômes lors d’un travail sur ordinateur et, encore plus que pour d’autres activités informatiques, un seul élève prend la main.
Proposer un exercice de programmation sur papier lors d’un devoir est très délicat : un informaticien qui crée un programme construit son code par essais-erreurs, or il est bien entendu impossible d’obtenir de retour lors d’un exercice sur papier qui permet de corriger ou d’ajuster certains paramètres. La seule solution qui m’a parue envisageable était donc de fournir aux élèves un programme déjà complet et de les interroger de manière à vérifier s’ils savaient l’interpréter.
3. La mise en œuvre en classe.
Activité 1 : les élèves doivent réaliser l’exercice suivant à l’écrit, à l’aide de leur calculatrice
Transition : utiliser un programme nous permettrait de faire la même chose tout en ayant la possibilité de suivre l’évolution des réserves de pétrole au fil des années.
Activité 2 : Réalisation d’un programme sur scratch
L’écran du professeur est vidéoprojeté pour que les élèves puissent suivre la création du programme. Néanmoins un temps de décalage est respecté entre le moment où la consigne est donnée et le moment où elle est réalisée par le professeur, ce qui permet aux élèves de s’investir davantage et de trouver la solution seuls, tout en rassurant ceux qui ont du mal à suivre le fil.
Résumé des étapes :
1. Définir ce qu’est une variable = une donnée qui va adopter différentes valeurs au cours de l’exécution du programme.
2. Créer les variables dont on a besoin : année, réserves de pétrole, et quantité de pétrole consommée depuis le lancement du programme.
3. Fixer les valeurs de départ de nos variables
4. Ecrire les calculs à réaliser
5. Les intégrer dans une boucle et déterminer la condition d’arrêt de la boucle : réserves de pétrole < consommation d’une année
6. Lancement du programme – ajout du bloc « attendre 1 seconde » pour rendre visible le changement des variables
Document figurant dans le cahier de textes de la classe et permettant de retrouver les notions travaillées :
La réflexion autour de la modélisation se fait naturellement lorsque les élèves s’étonnent du résultat obtenu : il se posent la question de la justesse du calcul effectué et proposent d’eux-même que si la consommation évolue au fil des années, ou si on découvre d’autres gisements de pétrole, la date calculée est susceptible d’être modifiée.
J’avais préparé une compilation d’articles de presse avec des avis contradictoires sur l’estimation de cette date d’épuisement des ressources mais n’ai pas eu besoin de les utiliser en classe car les élèves seuls ont été capables de trouver des arguments qui pourraient avoir un impact sur ce calcul.
Evaluation : exercice intégré lors du prochain devoir en classe
Exercice 1 : La fin du pétrole
Voici une version modifiée du programme que vous avez mis au point pour calculer la date d’épuisement des réserves mondiales de pétrole.
Rappel des données utilisées :
Réserves mondiales de pétrole : 170 000 millions de tonnes
Consommation mondiale pour l’année 2018 : 4 745 millions de tonnes
Script du programme :
Résultat obtenu lorsque le programme a terminé son exécution :
Expliquez brièvement quels sont les calculs effectués par le programme. Quelle est la différence avec le raisonnement utilisé en classe ?
Eléments de réponse attendus :
Après avoir indiqué la valeur de départ que doivent prendre les différentes variables, le programme va ajouter 1 à l’année tout en ajoutant 35 millions de tonnes à la consommation de l’année. Il soustrait enfin la consommation de l’année aux réserves restantes. Le programme s’arrête lorsque les réserves sont épuisées.
Contrairement au raisonnement utilisé en classe, la consommation de pétrole n’a pas été considérée comme fixe : elle augmente de 35 millions de tonnes par an.
4. Retours sur cette séquence.
a. Pour l’enseignant.
La séance a rempli tous les objectifs visés.
La démarche est intéressante car elle permet d’une manière très simple et ludique de travailler sur une situation concrète qu’il est réellement possible d’approfondir. C’est une activité qui peut être prise en main sans avoir une grande maîtrise de la programmation.
Le travail sur la programmation permet de mettre au clair la structure d’un raisonnement logique et la succession des étapes de ce raisonnement. Le calcul à réaliser à la main est très difficile pour certains élèves, alors qu’avec les contraintes de la programmation, cela les oblige à raisonner par étape et à bien identifier la signification de chaque valeur.
Le temps passé sur la définition d’une variable a été essentiel pour l’ensemble des profils d’élèves : dans chacun des 6 groupes qui ont réalisé cette activité, les élèves ont dit qu’ils savaient ce qu’était une variable, or ils n’ont été capable de définir cette notion que dans 2 groupes. Cela illustre la pertinence de remettre à plat ces notions.
Lorsqu’on intègre de la programmation à un enseignement, le rapport classique élève enseignant a tendance à s’inverser : l’élève devient très sur de lui (ce qui montre le bénéfice de cette approche) tandis que l’enseignant doute de lui. Si certains élèves ont effectivement une bien plus grande maîtrise que la nôtre, il faut garder à l’esprit que ce n’est qu’une petite minorité d’élève qui se trouve dans ce cas pour l’instant, et que d’autre part leur maîtrise se centre plutôt sur les outils que sur les méthodes : c’est sur ce dernier point que l’enseignant a toute sa légitimité et sa place.
Ces situations donnent aussi un support pour travailler sur les problèmes de rédaction des élèves qui souvent altèrent la logique du raisonnement scientifique.
La conception de la séance, sa mise en œuvre, la conception du sujet d’évaluation et sa correction n’ont pas été source de difficultés supplémentaires et n’ont pas non plus été particulièrement chronophages comme on peut parfois le craindre avec ce type d’activité.
Concernant l’évaluation :
Les résultats obtenus par les élèves sur cet exercice sont très contrastés mais sans surprise car ils reflètent globalement le niveau habituel de la classe : les élèves habituellement en difficulté n’ont pas mieux réussi cet exercice que les exercices plus traditionnels.
Quelques élèves avec d’importantes difficultés de rédaction et/ou de mise en relation des idées s’en sont un peu mieux sortis que d’habitude car le fait de devoir décrire quelque chose qui est finalement déjà structuré leur a donné une trame qu’ils ont pu suivre. Cet effet positif vient à mon sens plus de cette configuration inhabituelle pour un exercice mais n’en fait pas pour autant un outil miracle capable de résoudre définitivement ce type de difficulté. Ce que l’exercice demande en termes de raisonnement scientifique me semble assez limité, mais peut néanmoins constituer une approche intéressante pour raccrocher quelques élèves.
b. Du point de vue de l’élève.
J’ai réalisé un sondage auprès des 3 classes de secondes qui ont réalisé cette activité. Dans les grandes lignes, il en ressort une très grande disparité entre les classes qui est le reflet leur dynamique de travail : dans les classes d’un bon niveau les élèves sont réceptifs et volontaires, dans les classes dans lesquelles la dynamique de travail est moins bonne, cette activité ne semble pas avoir apporté de motivation supplémentaire.
Je n’ai pas réussi à dégager d’effet positif systématique : des élèves avec des profils similaires, notamment vis-à-vis de certaines difficultés, obtiennent des résultats très contrastés.
5. Pistes pour aller plus loin.
Quelques éléments non testés en classe qui peuvent enrichir ce travail :
Réécrire le programme en Python :
Cette activité peut être réalisée par le professeur de mathématiques
Exemple de programme équivalent en python :
Rajouter l’utilisation d’une liste, c’est-à-dire la possibilité de stocker les différentes valeurs d’une variable. Exploiter ces données dans un tableur. Modifier le programme et comparer les différents modèles obtenus.
Intégrer dans le programme les émissions de CO2 liées à la consommation du pétrole et modifier la condition d’arrêt de l’utilisation des ressources en fonction des accords sur la régulation de la hausse des émissions de CO2 (en utilisant par exemple ces données : http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/07/18/climat-80-des-reserves-de-petrole-de-gaz-et-de-charbon-nauraient-pas-la-moindre-valeur-2/ )
6. Ressources
Un exemple en ligne de ce programme est disponible ici : https://scratch.mit.edu/projects/279674253/editor/